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"Des goûts et des couleurs on ne discute pas... et pourtant on ne fait que ça !" (Nietzsche)


dimanche 1 août 2010

"Ses poupées l'appellent docteur", de Vénus Rachais. Approche du feuilleton numérique

Les hasards d'amis d'amis facebookiens font parfois découvrir quelques trucs qui peuvent être intéressants. Aujourd'hui c'est un feuilleton numérique qui débute tout juste : Ses poupées l'appellent docteur, par Vénus Rachais.

On dirait un nom de scène, ce qui ne semble pas être le cas : à Guillotière, quartier de Lyon où se passe l'histoire, s'appeler Vénus Rachais c'est un peu comme s'appeler le Marquis de Saxe dans le quartier voisin.

Pour l'instant, il y a une fille qui doit de l'argent à un type et qui s'en fait prêter par son meilleur ami, lequel tapine au sex-shop du coin, avant de se faire enlever par des gus pour le compte d'une vieille polonaise boufffeuse de choux vivant dans un appart hyper-kitsch et voisine d'une nana qui pratique le yoga et la fumette en écoutant Gotan Project trop fort, sous prétexte d'avoir été la dernière à rencontrer le fils de la vieille que cette dernière recherche depuis des années dans le monde entier.

L'histoire se passe donc à Guillotière, quartier d'immigration historique à Lyon, de l'autre côté du Rhône par rapport à Bellecour (jusqu'au 19e siècle Guillotière c'était les portes de la ville, une région incontrôlable dont Lyon et le Dauphiné se refilaient la police). Y a un p'tit bar, un sex-shop tenu par un américain, une polonaise bizarre, des hommes de main, des étudiants qui tapinent, et une pauvre fille larguée. Bon, pour l'instant il manque des noirs, des arabes et des roms, qui constituent en plus des étudiants la population principale du quartier.

Le feuilleton numérique, je ne connais pas vraiment ça, mais ça se donne ici comme une littérature aux temps de la communication rapide, précise et fun. Chaque épisode est chronométré à l'avance pour respecter les temps de cerveau disponible en situation de surf, et l'écriture ne s'étend pas dans la description. Tout se passe très vite sous nos yeux. L'attention n'est pas forcément toute concentrée dans cette rencontre fugace, ce n'est pas comme si on prenait rapidement quelque chose comme quand on joue de la pique dans un plat de mini-saucisses presque vide à un apéro de morfals bien élevés. C'est plutôt que les images se mettent en ordre après la lecture, elles se recomposent dans un temps de tranquillité passive qui la suit. Et sans ce temps-là on n'en retiendrait rien, ça passerait par un oeil et ressortirait par l'autre, alors ça peut bien faire le buzz si toutes les personnes mobilisées via facebook et twitter se ramènent et font circuler l'info, n'empêche qu'il faut que ça s'imprime à un moment donné.

Du coup l'histoire n'est pas très compliquée et tout est relié, le cerveau a plus de facilités à recomposer le tableau comme ça. Esthétiquement, ce qu'il retient c'est peu de choses, je suis sûr que beaucoup d'éléments passant à l'as. On est porté par le narrateur, peu présent en quantité mais présent en intensité, il s'adresse vraiment au lecteur sur le mode du rapport super cool comme un vendeur dans le désespoir jetterait ses derniers espoirs dans le harcèlement de clients potentiels pour leur refourguer sa came en usant du sourire, du toucher, de la complicité... Alors ce côté est un peu pénible, peut-être est-ce nécessaire au début - mais la voix néanmoins porte la lecture (si elle pouvait respecter un peu plus le consommateur le lecteur ce serait pas mal).

De même, l'annonce comme quoi il y a de l'action, du suspense, du sexe... C'est pas comme si les lecteurs ne connaissaient pas les codes hollywoodiens ! L'envie et la motivation de l'auteure l'emportent au final, mais tout cet apparat commercial preneur des gens pour des cons c'est un peu pénible : on se sent surtout distant de qui nous interpelle ainsi, parce qu'on sent que cette personne ne s'adresse pas à nous mais à l'idée qu'elle se fait de nous, et que cette idée n'est pas très sympathique (consommateurs pigeons, ou plus exactement quelque chose comme un homo coolus un peu naïf pour qui des gens intéressés et froids calculateurs construisent des situations de communication pour le rendre accro sinon pour le faire raquer). La rapidité, par ailleurs, des épisode, s'il n'y en a qu'un tous les dimanches, on risque de décrocher bien vite de ne pas s'y accrocher assez - les séries télévisées, on reste dans une tranquillité passive des heures durant un soir...

J'ai l'impression de retenir peu de choses, donc, de ce que j'ai lu, en dehors de l'histoire formelle, et ce que j'ai retenu ce sont les positionnement des personnages. Alors comme le cerveau essentiellement recompose a posteriori ce qu'il a lu, peut-être que ça ne tient qu'à moi. N'empêche. Le positionnement des personnes, c'est leur inclinaison aussi bien envers les autres personnages, qu'envers les choses en général (mais chaque fois précisées). Et c'est ça aussi qu'on a besoin de savoir. Je ne me rappelle pas de la position de la fille perdue envers le type à qui elle doit de l'argent, mais celle de la fumeuse à l'égard de la vieille : elle baisse le son de la musique après les trois coups de balai au plafond de la vieille qui sont un rituel, après elle ouvre la fenêtre et elle sent les odeurs de chou que la vieille ne mange que ça, et la fille se relaxait, elle fumait tranquillement un joint à la fenêtre, elle pense incidemment à la vieille... on voit son visage, on entre dans son visage, on s'identifie quoi. Et on pourrait s'identifier comme ça à tous les personnages, c'est l'un des principaux ingrédients d'une bonne série, non ?

Donc il ne s'agit pas simplement d'écrire du thriller et du sexe, et on comprend aussi qu'on peut très bien faire des séries sans thriller et sans sexe. Pour l'écriture elle-même, elle est à la littérature ce que le jeu des acteurs de séries télévisées est souvent au théâtre ou au cinéma : une sorte de faire comme si où le visage et le corps sont des automates inertes seulement mus par ce qui est écrit du personnage, la représentation qu'il doit donner. Dire que c'est très mauvais - ce qu'on entend souvent pour le jeu des acteurs de séries- c'est perdre de vue le but de ce jeu. Dans cette littérature, c'est comme dans les littératures de genre, policier, science-fiction... souvent des livres qui n'apportent strictement rien sur le plan de la langue, ni sur le plan de la forme, et n'inventent encore moins, mais qui se servent de tout ce qui existe déjà en vue d'une communication optimale, et faire passer un message, et bien représenter.

Alors je préfère les littératures plus au corps, et, dans ces distanciations représentatives, je préfère quand les indications ne sont pas autant qu'ici chargées d'affects, de considérations, de points de vue, ce dont on se fout : le rythme du narrateur nous porte, un peu comme dans le cinéma le montage, mais ce qu'il dit nous coupe de l'histoire "réelle", et fait parasite plus qu'autre chose. Je préfère des indications comme les didascalies au théâtre, très formelles, et permettent de présenter l'action, les personnages, ce qui est montré. Dans le même sens, les dialogues sont trop impersonnels : dans les séries télé ça fonctionne parce qu'on voit les visages des acteurs, sur lesquels se peint une émotion, mais là ça marche beaucoup moins. Il faudrait des propos mieux retranscrits, ce qui permettrait de faire passer les affects des personnages. D'ailleurs ce qu'on retient, les positions des personnages, il me semble que c'est surtout donné par un discours indirect du narrateur, lorsqu'il veut bien faire passer la communication sur son produit à l'arrière plan et mettre en avant le respect de ses personnages.

Cela dit, c'est une forme littéraire intéressante, même si je ne connais pas vraiment le champ littéraire, et plus largement culturel (en dehors des vidéos sur youtube qu'effectivement on ne regarde pas plus de 3 minutes, durée de chaque épisode), dans lequel elle se place. Et qui n'est qu'à affiner pour que la sauce prenne vraiment, qu'on l'investisse vraiment comme une histoire que l'on a envie de suivre. Ceci dit pour la forme, parce que pour l'histoire elle-même c'est encore un peu sommaire, il n'y a pour l'heure que les cinq premiers épisodes. Dans un si court espace d'écriture (une page d'un livre normal ?), qui se rapproche plutôt d'une littérature-sms (une short literature service ? - il faudrait que la SLS ne prenne pas le même créneau que les SAS, quoi... ce qui n'est pas certain !), les personnages doivent être tirés avec quelques traits seulement, et on doit en voir et sentir plus que ce qui est dit. La pauvre fille, par exemple, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de choses. Les personnages sont comme des machines, ils ont des fonctions, ils sont des composés de signes (plus, donc, des positionnements subjectifs et sensibles). L'histoire qui nous est racontée n'est qu'un des éléments importants dans une série, et elle pose un décor, elle découpe ce qui est travaillé dans le tissu du réel, et elle supporte les flux qui passent les choses et les êtres, et qui sont le vrai sujet, il me semble, des séries. Celle-ci semble bien intégrée, après, à voir la suite pour son grand intérêt...

- A lire : Ses poupées l'appellent docteur, par Vénus Rachais. Début le 1er août 2010, un nouvel épisode tous les dimanches.

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